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zaterdag 28 maart 2009

L’heritage romantique et parnassien

La ville romantique : mythe et espace du malheur

Au bout de la réflexion sur la ville dans la poésie française moderne, nous sommes en mesure d’affirmer que, tout comme la ville a souffert des modifications profondes au long du XIXe siècle et surtout dans la période haussmannienne, la poésie elle-même a subi d’innombrables convulsions et a été soumise à tous les changements formels et structurels imaginables.


La Rue Rambuteau


La perception de l’espace citadin, les rapports de cet espace avec la nature et les degrés d’intériorisation de la ville par le sujet lyrique, ont connu des changements spectaculaires depuis l’époque pré-baudelairienne jusqu’à la modernité apollinairienne et sa suite surréaliste.
Chez les Romantiques, nous avons vu que c’est surtout la nature qui compte. L’approche de la ville n’est que symbolique et, pour eux, la ville est le symbole de l’aliénation et du mal. La véritable ville romantique est la ville mythique et cette représentation du mythe urbain est ce qui compte le plus dans l’héritage romantique de la perception citadine. Dans le Romantisme, la ville et la nature, sont extérieures au sujet lyrique, à l’exception, peut-être, de Nerval qui arrive à les intérioriser à travers son délire.
Le Parnasse, hanté par la perfection formelle, lutte contre les effusions lyriques et les excès du Moi romantique. Son retour à l’illo tempore, ses rapports avec l’histoire et la projection dans le mythe, nous permet d’observer que la ville parnassienne n’est qu’un espace livresque, théorique, privé de corps physique. Elle continue la tradition romantique de la ville mythique. Par sa perfection formelle et par ses matières obligatoirement précieuses et nobles qui créent le décor suprême, la ville parnassienne préfigure la ville baudelairienne : décor, raffinement et hantise de la perfection, tout comme par sa vision picturale et ses rares poussées d’intimisme, elle annonce la ville symboliste.

Le Boulevard de la Grande Armée
Baudelaire, avec sa modernité inouïe dans le contexte de son époque, est un nœud dans la littérature du XIXe siècle française et universelle, un véritable carrefour entre le Classicisme, le Romantisme et le Symbolisme.

Il adopte la rigueur et la précision majestueuse du sonnet classique, se laisse tourmenter et charmer par «les folies romantiques », rêve à la perfection formelle du Parnasse, pour plonger en pleine Modernité, faire descendre du plan théorique et théosophique les Correspondances pour les offrir à la création poétique, ainsi que « les forêts de symboles » qui vont marquer l’art de Verlaine, Rimbaud et Mallarmé, en un mot, toute l’époque d’or du Symbolisme, et qui vont aboutir à l’onirisme des champs magnétiques surréalistes. En plus, Baudelaire impose l’esthétique du mal dans la littérature française et universelle, et cette esthétique « maladive » va profondément marquer la littérature du XXe siècle.
Nous avons vu que la quête baudelairienne ne se limite pas au domaine poétique. Elle avance vers la prose et démolit les contraintes rythmiques dans Les Poèmes en Prose et La Fanfarlo, où elle aboutit à d’incroyables marques de modernité.
Intimement liée à sa modernité, l’introduction de l’espace urbain (même privé de matérialité), a donné à Baudelaire l’occasion d’explorer la poésie dans son nouveau décor : la ville. En quête de son idéal, Baudelaire passe dans son œuvre par les étapes successives et obligatoires du spleen, de l’évasion, du vin, de la drogue et de la mort. Pour donner un décor à cette quête de l’idéal, il crée une cité dont les éléments (la chambre → la mansarde→ la fenêtre → le balcon → la rue → la ville → le port→ le monde) s’organisent à travers les degrés d’ouverture de l’espace et se soumettent à la ligne droite du regard. L’espace urbain baudelairien, d’où la nature a été soigneusement bannie, est artificialisé et intériorisé par la voie des perceptions. Cet espace n’a pas de chair, il n’est qu’un décor de spectacle où évoluent les acteurs, les personnages de la nouvelle mythologie urbaine : la prostituée, le clochard et le flâneur nocturne.

Le Boulevard Haussmann - Lafayette (la maison haussmannienne)

La poétique symboliste, héritière légitime de la modernité baudelairienne, est axée sur la relation de cause à effet entre le « récipient » et son contenu, c’est-à-dire que les attitudes et les sentiments du je poétique sont influencés par l’espace et par ses degrés d’ouverture (pièce, maison etc.). Ainsi, après des siècles de tradition poétique qui ont mis la métaphore au premier plan, la modernité poétique, le Symbolisme plus précisément, impose la primauté de la métonymie.

L’espace symboliste, citadin par vocation, est structuré en cercles concentriques : la pièce → la maison→ les fenêtres → le jardin → la ville, et sa principale caractéristique est l’aliénation. Le temps qui correspond à cet espace est le temps crépusculaire qui marque, fixe et surtout provoque la marche vers l’aliénation. Cet espace et ce temps confèrent de la légitimité au discours symboliste et représentent la macro-métonymie de ce discours.
L’Opéra Garnier

La description de la ville symboliste est généralement liée à la perception « impressionniste » verlainienne. Ainsi, elle a comme constantes : le gris, l’imprécis, le vague, les nuances, la musicalité, la mélancolie. Nous avons montré comme Zola, tout en métaphorisant l’objet urbain, crée une véritable prose poétique. Il arrive ainsi, en respectant toutes les rigueurs de la technique picturale impressionniste, à donner de véritables tableaux de Paris, qui sont la version explicite de la description symboliste de la ville.

Le Grand Palais

En marge du Symbolisme, Rimbaud, le révolté, consume l’héritage baudelairien et oriente la poésie à travers le subconscient, le dérèglement des perceptions et son propre univers pathologique, vers la Modernité du XXe siècle, inaugurée par Apollinaire et continuée par le Surréalisme. En Surréaliste avant la lettre, Rimbaud traverse, pour trouver la Voyance, son propre espace intérieur pathologique et descend une à une les marches de son enfer personnel : évasion → dégradation → supplice physique, mais aussi moral et psychologique, voire psychiatrique → folie → mort (accompagnée de décomposition).
L’espace rimbaldien, qui est citadin par vocation, est le produit de l’imagination du poète et ses éléments constitutifs empruntés au monde réel sont redistribués suivant une anti-logique propre au délire jusqu’à ce qu’ils perdent leurs significations consacrées. L’espace intérieur ou extérieur, l’espace personnel ou urbain, sont soumis également chez Rimbaud, au paradigme pathologique.
Plongé en pleine modernité thématique et prosodique, Apollinaire est le poète de l’espace ouvert et de la ville concrète. Ayant eu l’occasion de vivre dans une ville systématisée par la révolution haussmannienne et embellie par la Belle Epoque, il embrasse complètement le nouveau monde de la Modernité. On peut parlez dans son cas, d’une véritable poésie du quotidien, des moyens de transport, de l’électricité.
Trocadéro et le Palais Chaillot (vue générale)

Nous découvrons dans sa poésie, débordante d’une impressionnante matérialité, tous les types d’objets urbains : quotidiens, technologiques, euphoriques, dysphoriques, allégoriques.
La ville d’Apollinaire, caractérisée par la brisure des structures (non-linéarité et juxtaposition), se refuse à toute intention de schématisation. Elle est, comme les objets dont elle est construite, concrète, technologique, euphorique, dysphorique et allégorique à la fois et en même temps. Cela parce qu’elle est formée de plusieurs types de villes qui évoluent sur des plans superposés, ou, pour mieux dire, elle est la synthèse de cette superpositions des plans. Bref, la ville d’Apollinaire est une ville simultanéiste, ou, si on nous permet la formule, une ville cubiste.
L’influence d’Apollinaire est sans conteste chez Cendrars, qui innove à son tour et qui continue la révolution de la perception de l’espace citadin. Mais ce sont les Surréalistes qui ont profité le plus de l’héritage apollinairien. Le Surréalisme doit tout, jusqu’à son nom, à Apollinaire qui a légué à ce courant la métrique et la prosodie ébranlées, la ponctuation éclatée, l’inspiration citadine, le goût du quotidien et l’exploration des « profondeurs de la conscience », le nouveau regard et l’appétit pour l’insurrection générale, plus une soif farouche et démesurée de Modernité.
Le Pont Alexandre III
Pour synthétiser notre réflexion sur la perception de la ville dans la poésie française moderne, nous sommes en mesure d’affirmer que la ville baudelairienne, ayant complètement banni la nature romantique, n’est rien d’autre qu’un état d’âme (l’état d’âme du citadin du XIXe siècle torturé par le spleen et par sa propre dégradation spirituelle), une réalité mentale, qui deviendra névrotique chez les Symbolistes, en général, mélancolique chez Verlaine et délirante chez Rimbaud. La ville ne devient « réelle », concrète et immédiate, qu’après la fin du XIXe siècle, avec Cendrars et surtout Apollinaire, le champion de la modernité poétique du XXe siècle, qui ouvre la porte au Surréalisme et au Postmodernisme.