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dinsdag 3 maart 2009

Baudelaire, peintre de la vie moderne


A la lecture attentive des passionnantes « études de têtes » que sont les Salons, on est frappé de l'importance non seulement quantitative mais encore qualitative que Baudelaire accorde à la peinture.
Ce n'est pas qu'il méprise, loin s'en faut, les autres formes d'expression artistique.
La sculpture, par nature nous le verrons, le déconcerte, 1' « ennuie » et le conduit à des méconnaissances, voire à d'injustes appréciations. Mais la musique souvent l'enchante et le « transporte » : il aime Liszt et ses envolées, il admire les grandes « houles » de Beethoven et fut le premier, en son siècle, à reconnaître le génie de Wagner et de ses « extases » monumentales.
Pourtant, c'est vers les peintres que toujours le ramènent son intelligence et sa sensibilité au point de métaphoriser picturalement ses jugements critiques en d'autres domaines : « Hugo est devenu peintre en poésie », Wagner excelle « à peindre l'espace et la profondeur ».
Le métier de son père, les relations privilégiées du jeune homme avec les cercles de la bohème artiste des années 40, l'éclectisme du critique, qui fait dire à G. Blin que Baudelaire est de ceux qui acceptent « que le chant n'appartienne pas toujours à la voix, ni la poésie au poète », ne suffisent pas à expliquer cette fascination durable pour la peinture. Mieux vaut reconnaître que le génie de l'auteur des Fleurs du mal est fondamentalement d'essence/ visuelle et, si l'on veut bien prendre le mot au pied de la lettre, visionnaire. Quand il sent, quand il écoute, quand il lit.
Baudelaire voit et « se représente » choses et émotions.
La gamme des sons,les lexiques du~vocabu-laire, les essences de la parfumerie, tout est pour lui partie prenante d'un même système de représentation qui tend à donner à voir des images, à éprouver des « tableaux ».
La peinture est ainsi, à ses yeux, la plus explicite et la" plus immédiate « épreuve » de la représentation, celle où la présence, ou l'absence, du sens est le plus évidemment perceptible dans le jeu des couleurs et des lignes. Elle est encore l'espace privilégié, par sa « surface » même, de cette possible œïncidence heureuse entre deux regards, ceux de l'artiste et du spectateur, et donc deux subjectivités invitées à se « correspondre » infiniment dans le lieu fini de la toile.
Aussi, chez les anciens comme chez les « modernes », Baudelaire va-t-il à la rencontre des peintres dont l'œuvre est champ de partage, « émeut » désirs et sensations, transperce lumineusement la nuit du non-sens et de l'invisible.
Au premier rang de ces « phares » d'hier qui éclairent la modernité en marche Brueghel le Drôle et son chaos onirique, Goya qui sut créer « le monstrueux vraisemblable », Watteau qui fit oublier le naturel dans le « carnaval » de ses artifices, ou encore le maître d'Anvers,
« Rubens,
fleuve d'oubli, jardin de la paresse, Oreiller de chair fraîche où Ton ne peut aimer »,
et celui d'Amsterdam,
« Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures, Et d'un grand crucifix décoré seulement... »
A l'endroit de ses contemporains les préférences, les répulsions et les passions se font plus radicales. Sa conviction que l'art ne souffre ni facilité ni compromis- v jsion mais engage la totalité de l'être créateur dans une aventure qui est « énergie » et don total de soi conduit Baudelaire à une critique authentiquement sévère et fidèle dans ses choix.
Dès 1846 par exemple, la peinture d'Horace Vernet incarne cette mensongère transparence de l'œuvre « onaniste » qu'il déteste par-dessus tout :
« Je hais cet homme parce que ses tableaux ne sont point de la peinture, mais une masturbation agile et fréquente (...), parce que l'art pour lui est chose claire et facile ». Sa méfiance n'est pas moins grande pour les œuvres trop limpides d'Ingres en lesquelles « l'imagination, cette reine des facultés, a disparu ». Millet, son élève, trop fidèle, lui aussi, à la tradition du « beau raphaélesque », ne trouve pas davantage grâce aux yeux du rédacteur du Salon de 1859 : « le style lui porte malheur ».